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Levée de fonds et biais cognitifs : les neufs pièges du leveur de fonds.

Certains livres vous changent la vie.

L’ouvrage d’Olivier SIBONY, « vous allez connaitre une terrible ERREUR » a durablement modifié ma vision de la levée de fonds, et ma conception du métier de leveur de fonds au service des startups, des investisseurs et de l’écosystème de l’innovation. Il m’a fait comprendre que nous pourrions nous décrire en définitive comme …des entrepreneurs en biais cognitifs !

Je m’explique.

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Qu’est-ce qu’un biais cognitif ?

Inspirée des travaux de Kahneman (Prix Nobel d’économie) et Tversky, cette notion évoque les limites de notre rationalité et notre capacité singulièrement humaine à sélectionner, distordre, évaluer les informations que nous prenons en compte dans nos prises de décision.

Dit autrement, face à des situations complexes, notre cerveau est incapable de prendre rationnellement en compte l’ensemble des informations en compte dont il aurait besoin pour émettre une décision parfaitement rationnelle et logique, ou tout simplement ne dispose pas de la totalité de celles-ci.
Il recourt donc à des « raccourcis logiques », qui parfois sont d’une grande aide pour décider habilement, mais aussi et sans que cela soit facile à déterminer par avance, sont autant de chances de prendre, ainsi que l’évoque Olivier Sibony, une « terrible » décision.

Toutes nos décisions sont biaisées, sinon, nous n’en prendrions aucune. Mais ces biais nous mettent parfois en danger.

En quoi la levée de fonds est-elle un terrain spécialement propice aux biais cognitifs ?

Le degré d’incertitude parait bien évidemment [1] inversement proportionnel au caractère rodé, habituel d’une situation. Plus c’est répétitif, plus c’est ancré, plus c’est « procédure », plus il est facile de prévoir et anticiper.
A l’inverse, et c’est le cas des startups, quand c’est inédit, fragile, projectif, etc.., la prise de décision devient délicate. La logique habituelle y est souvent mise à mal !

Le monde des startups relève précisément de cette étrangeté, de cette aventure.

Et dès lors les parties prenantes ont bien du mal à justifier de leurs décisions, qu’il s’agisse des dirigeants, mais aussi des premiers clients et fournisseurs, et bien sûrs des premiers investisseurs,business angels ou fonds de capital-risque.

Chacun a beau mettre en place des formes de garde-fous méthodologiques, la rationalité doit forcément recourir à des raccourcis, des ponts cartésiens, des hypothèses de raisonnement. Tous terreaux on ne peut plus propices au biais cognitifs !!

On peut dès lors représenter la levée de fonds comme un terrain de transaction – pour ne pas dire d’affrontement- entre les biais cognitifs de l’entrepreneur avec ceux de l’investisseur, avec le leveur de fonds comme exhausteur et médiateur !!
Chacun y va de son raisonnement, essaye de convaincre l’autre de la cohérence de celui-ci. Il n’y a pas de vainqueur/vaincu à la fin de la transaction, parfois dans le meilleur des cas (quand la levée a lieu) un accord provisoire… car seul le temps validera ou pas la pertinence des biais retenus.

Le leveur de fonds est celui qui :

  • Assiste l’équipe de dirigeants dans la sélection des faits, liens, hypothèses, permettant d’établir un récit apte à séduire et rassurer les investisseurs ;
  • Sélectionne les destinataires les plus aptes à recevoir ce récit
  • Permet la rencontre entre ce récit et l’histoire que les investisseurs ont établi pour eux-mêmes : les VCs nomment cela la thèse d’investissement, elle-même reposant sur des sous-jacents propres à la finance et à la culture entrepreneuriale locale.

Ce qui bien entendu suppose que lui-même soit au clair avec ses propres biais, en professionnel supervisé et entouré d’autres professionnels.

Olivier Sibony distingue 9 pièges décisionnels, que nous reprenons ici (partiellement et imparfaitement, pardon Olivier !) sous l’angle de la levée de fonds :

Le piège du story-telling

Ou « piège de la belle histoire construite à partir d’une sélection de faits ». Parfois c’est une histoire que l’entrepreneur se raconte à lui-même (à qui cela n’est-il jamais arrivé ?!), parfois c’est celle que le leveur a établi en complicité avec les dirigeants et qu’il propose aux investisseurs, lesquels bien sûr sont en alerte sur les risques de la foi en un narratif non éprouvé.
Nous essayons chez Rainmakers de dépasser ce risque à travers notre doctrine « C.I.A. », (Crédible Intelligible Attractif) mais nous ne sommes pas dupes sur le caractère forcément manipulatoire de l’intelligibilité proposée. Tout au plus en intériorisant la contradiction essayons nous de diminuer l’intensité de la friction, de permettre que celle-ci devienne un débat fructueux.

Le piège de l’imitation

Ou celui qui nous fait attribuer le succès à quelques personnes (ah, cher Steve ! cher Elon !) et à considérer que celui qui penserait pareil dans une situation différente est voué à réussir. Cf par exemple le mythe du serial entrepreneur, bien établi auprès des VCs… ! Notre rôle de leveur est alors de regarder les projets dans leur ensemble , en tant que système, et non comme certains aimeraient à le croire comme émanation d’un seul génie.

Le piège de l’intuition

Celui qui nous fait préférer un « j’y crois » bien commode à un raisonnement un peu construit, respectueux des zones d’ombres et assumant celles-ci. L’intuition, résultat de milliers de situations vécues, fonctionne bien en environnement stable et prévisible. Moins sur les startups. Aussi vaut-il mieux privilégier (comme nous le faisons au sein de Rainmakers, mais aussi, comme le font systématiquement les fonds d’investissement, le collectif et la confrontation d’angles différents.)

Le piège de l’excès de confiance

Entreprendrions-nous si nous prenions en compte l’ensemble des risques liés à notre projet ? Les études montrent que non. Pour autant, il convient de ne pas se laisser prendre à notre propre foi, et les venture capitalists le savent bien, eux qui décotent systématiquement les BP financiers. Notre réponse est double :

  • D’une part rendre explicite les hypothèses et les liens qui conduisent à la promesse financière. Nous ne concevons pas tant des prévisionnels que des modélisations économiques. Collectivement élaborées, itérées, opposables, pédagogiques.
  • D’autre part prévoir des marges de sécurité dans les jeux d’hypothèses. … pour autant que le projet le permette !

Le piège de l’inertie

Celui qui nous fait penser une situation à un temps comme si elle s’inscrivait en continuité parfaite de celle-ci à T-1. Même si les startups sont précisément à la pointe de la disruption, il est souvent étonnant de constater combien elle se perçoivent comme vivant dans un environnement stable et prévisible. Comme si elles étaient les seules à bouger et tordre l’ordre établi. D’où un soin particulier à travailler les drivers du marché et la nature de la concurrence …

Le piège de l’aversion au risque…

…qui s’applique peu aux startups en principe, ce serait plutôt le contraire, mais que l’on observe souvent, paradoxalement au sein des fonds d’investissement. Leurs Q&A semblent parfois lunaires – parfois seulement- comme si tout devrait se prévoir ! Le rôle du leveur est alors d’avoir présenté un Info-mémo complet, de nature à informer et rassurer .

Le piège de l’horizon de temps

Qu’on appelle aussi « court-termisme ». Celui-ci est malheureusement incontournable en capital-risque, avec un TRI de 35-40% qui de fait valorise fortement le futur proche. Notre rôle est souvent ici pédagogique, nous faisons comprendre aux dirigeants pourquoi il ne sert à rien de se révolter contre les exigences élevées (et légitimes de fait) des VCs. Également nous insistons sur la nécessité, pour une bonne levée de disposer de résultats en progression pendant les 9-12 mois que dure la levée elle-même… Si on stagne à court terme, progressera-t-on ensuite ?

Le piège du groupe

Celui qui amène un individu au sein d’un collectif à taire ses divergences pour aller dans le sens du groupe. Le leveur de fonds n’a que peu d’influence sur les comités d’engagement et d’investissement, tout au plus peut il être vigilant à ce piège dans sa propre structure (quand il y en a une, sinon, cf. piège de l’intuition !).

Le piège du conflit d’intérêt

C’est le piège qui avance que toute partie prenante à une décision agisse au moins partiellement au nom d’intérêt qui lui sont propres. Le leveur de fonds y est soumis comme quiconque, par exemple au moment de calibrer une levée de fonds (plus elle est conséquente, plus son succès fee le sera !) ou bien en sélectionnant ses interlocuteurs au sein de la communauté des investisseurs. Il s’agit d’éthique, bien sûr, mais pas seulement. Le conflit, c’est la vie !
Nous tentons d’épargner nos clients à travers la transparence et la mise en évidence d’éventuels conflits qui pourraient apparaitre. Il faut savoir conseiller une décision qui serait juste pour le client quand bien même elle nous serait défavorable !

En conclusion

Nous n’avions pas pour ambition de résumer tout le livre, encore moins de tout en dire. L’auteur consacre une longue partie aux bonnes pratiques permettant de réduire l’impact des biais cognitifs dans la prise de décision managériale. Il est intéressant de noter qu’il cite fréquemment les fonds de capital risque comme modèle de « good practice ».

Ouf !

Leveurs de fonds en France , les consultants Rainmakers accompagnent les Start-Up avant, pendant et après leurs levées de fonds. Nous intervenons sur Lyon, Grenoble, St Etienne, Paris, Toulouse, en seed et série A.

Didier BERNARD


[1] quoique…, mais c’est une autre histoire, cf. « Le Cygne Noir » de Nissim Nicholas Taieb