Lors d’une levée de fonds de startup, tout le monde est intéressé par la valorisation, ne serait-ce que pour des raisons financières… 😉
Et c’est là que les ennuis commencent.
Qu’il s’agisse en effet d’évaluer un appartement pour loger sa famille, une société fondée par son grand-père ou encore le Picasso de ses rêves, vendeur et acheteur disposent d’un même référentiel, d’éléments objectifs relatifs à l’objet cédé (par exemple : les bilans des 5 dernières années, la taille, l’historique) et à sa valeur potentielle, via un panel reconnu de transactions. On peut donc s’entendre assez aisément sur – selon l’expression consacrée – « la chose et le prix ».
Ce n’est pas aussi simple s’agissant d’une startup.
La chose ? Elle est encore embryonnaire. Certes, un potentiel, un avenir, une espérance… mais concrètement à date : le plus souvent un gouffre financier plus ou moins improductif ! Si on la regarde alors pour ce qu’elle est sur le moment (comme on le fait classiquement lors des évaluations d’entreprise), il faudrait presque donner de l’argent à l’investisseur ! Mais si on se projette dans le futur, notamment aux yeux de ses créateurs, quelle merveille inestimable !!
Le prix ? Il n’est qu’une partie de l’équation, car il convient de tenir compte de toutes ces clauses que contiennent les pactes liant les entrepreneurs aux VCs – liquidité préférentielle, management package, good/bad leaver, ratchet, gouvernance, etc. – qui tordent le sens d’une valorisation. Comment comparer une cotation de 10M€ avec une liquidation préférentielle « 2x-non participating- full ratchet » (bon, j’avoue c’est rare et c’est tant mieux) avec une cotation inférieure, mettons 8M€, associée à une liquidation préférentielle 30%-1x-participating -ratchet narrow based » ? Sans compter la relative opacité du marché, les acteurs ayant souvent tendance à ne raconter que la moitié de leur négociation, celle qui leur est favorable, bien sûr.
A se demander si la seule méthode possible ne serait pas de négocier à l’ancienne. « Il y a de la pomme », si vous voyez ce que je veux dire (cf illustration) !
Nous envisageons heureusement chez RAINMAKERS une solution plus rationnelle et collaborative, à mettre en œuvre en 3 temps.
Co-construire une représentation partagée du projet.
Un roadshow de financement procède par étapes. Il y a un temps pour se découvrir entre entrepreneur et investisseur, puis pour s’apprivoiser et permettre notamment au financier d’appréhender le projet, le désirer. Vient ensuite le moment de co-construction d’une vision partagée.
On ne parle pas encore de valorisation, à ce stade, mais on challenge la stratégie, les roadmaps, les perspectives. Ce que l’entrepreneur a présenté -si possible bien préparé en amont avec son leveur de fonds-, l’investisseur va se l’approprier, le faire sien (et d’ailleurs en devenir l’ambassadeur au sein de sa propre structure, lors des fameux comités de deal flow et/ou d’investissement).
Et inversement, condition sine qua non d’un bon fit, le dirigeant de la startup intégrera les remarques, propositions, réserves de l’investisseur, lequel est souvent d’ailleurs un expert avisé du secteur.
Ils fondent ainsi l’un et l’autre une représentation mutuellement acceptée du plan de développement, résultat d’un dialogue entre des parties prenantes compétentes et complémentaires. Ce qui deviendra la base d’une valorisation fondée sur un futur intellectuellement co-construit.
Sans oublier bien sûr tous ces éléments qui viennent compléter la représentation partagée : multiples d’ARR, prix de l’abonné, valeur des brevets etc…
Note pour les entrepreneurs : d’où la nécessité d’un info-mémo et d’un Business Plan soigneusement construits en amont de la levée … ! trop ambitieux ou incohérent, il découragera l’investisseur. Trop modeste ou prudent … également. Et alors celui-ci n’aura tout simplement pas envie de mener le travail de co-élaboration.
Evaluer statistiquement les chances de succès
La deuxième étape est paradoxalement la plus simple, précisément parce qu’il existe des abaques connus de tous. Ainsi, sur vingt lignes d’investissement, un fonds finira en moyenne avec
- 1-2 stars (>10x la mise)
- 5-6 positifs (x2 à x5)
- 5-6 « zombies » (x0.5 à x1.5)
- 6-9 faillites (x0)
De sorte que pour satisfaire des Limited Partners (ceux qui investissent dans les fonds), lesquels attendent une rentabilité > 15%/an … il faut que chaque projet prenne la ligne de départ avec un potentiel de multiple de 5-6 minimum. C’est mathématiquement la conséquence du caractère ultra-risqué de l’activité startup.
(NB : l’attente est plus raisonnable en capital-développement, parce que les sociétés sont plus ancrées et présentent de fait moins d’incertitude)
Tout devient simple alors :
- Le futur co-construit engendre une estimation de valorisation à 5 ans (étape 1)
- Celle-ci est actualisée sur la base du multiple attendu, 5-6 donc (parfois un peu plus en fonction des promesses faites aux limited partners)
- On obtient ainsi le « post money » de l’opération
- Et déduction faite de la levée, … le prémoney.
Exemple : investisseur et entrepreneur s’accordent à estimer que l’entreprise pourrait bien valoir 50M€ dans 5 ans au regard de son plan de développement et des transactions pratiquées dans le secteur et qu’elle doit lever 3 M€ pour y parvenir : la valeur post-money du tour sera de 50M€, actualisé sur base 5 ou 6, soit 8 à 10M€. et donc le prémoney sera de 5-7M€ et il faudra « lâcher 30-37% du capital)
Faire appel à des tiers pour réguler et fluidifier la négociation finale
Facile ? Pas encore tout à fait, d’où une troisième étape permettant d’affiner les termes du deal.
On se souvient en effet que celui-ci comporte un prix, certes, mais aussi une multitude de clauses pouvant modérer ou amplifier son influence : management package qui intéresse les dirigeants à la réussite, liquidation préférentielle qui sécurise le fonds au détriment du management en cas de revente finale insuffisante, clauses dites de « bad leaver », etc…
La discussion ne relève pas de la science exacte, plus de la recherche d’une architecture équilibrée où chaque partie trouve son compte en termes d’incitatif et de protection. L’expérience du leveur de fonds est ici utile en tant que pédagogue, traducteur, médiateur. Les avocats de part et d’autre ont aussi, pré et post L.O.I. un rôle essentiel à jouer, celui de « finisseur ». Ce qui est certain, c’est que chacun devra faire des compromis…. Comme nous le disait un jour un éminent juriste : « excellent deal : tout le monde a signé et personne n’est content ».
Un mot pour conclure …
La valorisation est naturellement un paramètre très important lors d’une opération de levée de fonds, mais elle n’est pas le seul. Ce qui compte le plus, au fond, c’est bien la capacité qu’auront dirigeant et actionnaire financier à bien travailler ensemble pour créer de la valeur. Beaucoup de valeur.
Un bon accord, c’est donc celui qui permettra que, via une collaboration fructueuse entre partenaires raisonnablement stimulés et sécurisés, la startup se développe et finisse valorisée le plus cher possible ! Et alors les quelques pourcentages en plus ou en moins au départ signifieront bien peu au regard de cette valeur co-créée.
Comme il était dit au temps des anciennes foires : « c’est à la fin du marché qu’on compte les bouses » !
Article écrit par Didier Bernard